Qu’est-ce que tout cela fait a l’herbe
des plaines,
Aux oiseaux, a la fleur, au nuage, aux
fontaines?
Qu’est-ce que tout cela fait aux
arbres des bois,
Que le peuple ait des jougs et que l’homme
ait des rois?
L’eau coule, le vent passe, et murmure:
Qu’importe?
VII
LA SALLE A MANGER
La salle est gigantesque; elle n’a
qu’une porte;
Le mur fuit dans la brume et semble illimite;
En face de la porte, a l’autre extremite,
Brille, etrange et splendide, une table
adossee
Au fond de ce livide et froid rez-de-chaussee;
La salle a pour plafond les charpentes
du toit;
Cette table n’attend qu’un
convive; on n’y voit
Qu’un fauteuil, sous un dais qui
pend aux poutres noires;
Les anciens temps ont peint sur le mur
leurs histoires,
Le fier combat du roi des Vendes Thassilo
Contre Nemrod sur terre et Neptune sur
l’eau,
Le fleuve Rhin trahi par la riviere Meuse,
Et, groupes blemissants sur la paroi brumeuse,
Odin, le loup Fenris et le serpent Asgar;
Et toute la lumiere eclairant ce hangar,
Qui semble d’un dragon avoir ete
l’etable,
Vient d’un flambeau sinistre allume
sur la table;
C’est le grand chandelier aux sept
branches de fer
Que l’archange Attila rapporta de
l’enfer
Apres qu’il eut vaincu le Mammon,
et sept ames
Furent du noir flambeau les sept premieres
flammes.
Toute la salle semble un grand lineament
D’abime, modele dans l’ombre
vaguement;
Au fond, la table eclate avec la brusquerie
De la clarte heurtant des blocs d’orfevrerie;
De beaux faisans tues par les traitres
faucons,
Des viandes froides, force aiguieres et
flacons
Chargent la table ou s’offre une
opulente agape.
Les plats bordes de fleurs sont en vermeil;
la nappe
Vient de Frise, pays celebre par ses draps;
Et, pour les fruits, brugnons, fraises,
pommes, cedrats,
Les patres de la Murg ont sculpte les
sebiles
Ces orfevres du bois sont des rustres
habiles
Qui font sur une ecuelle ondoyer des jardins
Et des monts ou l’on voit fuir des
chasses aux daims;
Sur une vasque d’or aux anses florentines,
Des Acteons cornus et chausses de bottines
Luttent, l’epee au poing, contre
des levriers;
Des branches de glaieuls et de genevriers,
Des roses, des bouquets d’anis,
une jonchee
De sauge tout en fleur nouvellement fauchee,
Couvrent d’un frais parfum de printemps
repandu
Un tapis d’Ispahan sous la table
etendu.
Dehors, c’est la ruine et c’est
la solitude.
On entend, dans sa rauque et vaste inquietude,
Passer sur le hallier par l’ete
rajeuni
Le vent, onde de l’ombre et flot
de l’infini.
On a remis partout des vitres aux verrieres
Qu’ebranle la rafale arrivant des
clairieres;
L’etrange dans ce lieu tenebreux