Sur tous les flots du nord il pousse ses dromons,
L’Islande voit passer ses navires demons;
L’Allemand brule Anvers et conquiert les deux Prusses,
Le Polonais secourt Spotocus, duc des Russes,
Comme un plus grand boucher en aide un plus petit;
Le roi prend, l’empereur pille, usurpe, investit;
L’empereur fait la guerre a l’ordre teutonique,
Le roi sur le Jutland pose son pied cynique;
Mais, qu’ils brisent le faible ou qu’ils trompent le fort,
Quoi qu’ils fassent, ils ont pour loi d’etre d’accord;
Des geysers du pole aux cites transalpines,
Leurs ongles monstrueux, crispes sur des rapines,
Egratignent le pale et triste continent.
Et tout leur reussit. Chacun d’eux, rayonnant,
Mene a fin tous ses plans laches ou temeraires,
Et regne; et, sous Satan paternel, ils sont freres;
Ils s’aiment; l’un est fourbe et l’autre est deloyal,
Ils sont les deux bandits du grand chemin royal.
O les noirs conquerants! et quelle oeuvre ephemere!
L’ambition, branlant ses tetes de chimere,
Sous leur crane brumeux, fetide et sans clarte,
Nourrit la pourriture et la sterilite;
Ce qu’ils font est neant et cendre; une hydre allaite,
Dans leur ame nocturne et profonde, un squelette.
Le Polonais sournois, l’Allemand hasardeux,
Remarquent qu’a cette heure une femme est pres d’eux;
Tous deux guettent Mahaud. Et naguere avec rage,
De sa bouche qu’empourpre une lueur d’orage
Et d’ou sortent des mots pleins d’ombre et teints de sang,
L’empereur a jete cet eclair menacant:
—L’empire est las d’avoir au dos cette besace
Qu’on appelle la haute et la basse Lusace,
Et dont la pesanteur, qui nous met sur les dents,
S’accroit quand par hasard une femme est dedans.—
Le Polonais se tait, epie et patiente.
Ce sont deux grands dangers; mais cette
insouciante
Sourit, gazouille et danse, aime les doux
propos,
Se fait benir du pauvre et reduit les
impots;
Elle est vive, coquette, aimable et bijoutiere;
Elle est femme toujours; dans sa couronne
altiere,
Elle choisit la perle, elle a peur du
fleuron;
Car le fleuron tranchant, c’est
l’homme et le baron.
Elle a des tribunaux d’amour qu’elle
preside;
Aux copistes d’Homere elle paye
un subside;
Elle a tout recemment accueilli dans sa
cour
Deux hommes, un luthier avec un troubadour,
Dont on ignore tout, le nom, le rang,
la race,
Mais qui, conteurs charmants, le soir,
sur la terrasse,
A l’heure ou les vitraux aux brises
sont ouverts,
Lui font de la musique et lui disent des
vers.
Or, en juin, la Lusace, en aout, les Moraves,
Font la fete du trone et sacrent leurs
margraves:
C’est aujourd’hui le jour
du burg mysterieux;
Mahaud viendra ce soir souper chez ses
aieux.