Et, sous la pluie entrant par les trous des plafonds,
Les guivres, les dragons, les meduses, les drees,
Grincent des dents au fond des chambres effondrees;
Le chateau de granit, pareil au preux de fer,
Lutte toute la nuit, resiste tout l’hiver;
En vain le ciel s’essouffle, en vain janvier se rue;
En vain tous les passants de cette sombre rue
Qu’on nomme l’infini, l’ombre et l’immensite,
Le tourbillon, d’un fouet invisible hate,
Le tonnerre, la trombe ou le typhon se dresse,
S’acharnent sur la fiere et haute forteresse;
L’orage la secoue en vain comme un fruit mur;
Les vents perdent leur peine a guerroyer ce mur,
Le foehn bruyant s’y lasse, et sur cette cuirasse
L’aquilon s’epoumone et l’autan se harasse,
Et tous ces noirs chevaux de l’air sortent fourbus
De leur bataille avec le donjon de Corbus.
Aussi, malgre la ronce et le chardon et
l’herbe,
Le vieux burg est reste triomphal et superbe;
Il est comme un pontife au coeur du bois
profond,
Sa tour lui met trois rangs de creneaux
sur le front;
Le soir, sa silhouette immense se decoupe;
Il a pour trone un roc, haute et sublime
croupe;
Et, par les quatre coins, sud, nord, couchant,
levant,
Quatre monts, Crobius, Bleda, geants du
vent,
Aptar ou croit le pin, Toxis que verdit
l’orme,
Soutiennent au-dessus de sa tiare enorme
Les nuages, ce dais livide de la nuit.
Le patre a peur, et croit que cette tour
le suit;
Les superstitions ont fait Corbus terrible;
On dit que l’Archer Noir a pris
ce burg pour cible,
Et que sa cave est l’antre ou dort
le Grand Dormant;
Car les gens des hameaux tremblent facilement,
Les legendes toujours melent quelque fantome
A l’obscure vapeur qui sort des
toits de chaume,
L’atre enfante le reve, et l’on
voit ondoyer
L’effroi dans la fumee errante du
foyer.
Aussi, le paysan rend grace a sa roture
Qui le dispense, lui, d’audace et
d’aventure,
Et lui permet de fuir ce burg de la foret
Qu’un preux, par point d’honneur
belliqueux, chercherait.
Corbus voit rarement au loin passer un
homme.
Seulement, tous les quinze ou vingt ans,
l’econome
Et l’huissier du palais, avec des
cuisiniers
Portant tout un festin dans de larges
paniers,
Viennent, font des apprets mysterieux,
et partent;
Et, le soir, a travers des branches qui
s’ecartent,
On voit de la lumiere au fond du burg
noirci,
Et nul n’ose approcher. Et
pourquoi? Le voici.
IV
LA COUTUME DE L’USAGE
C’est l’usage, a la mort du
marquis de Lusace,
Que l’heritier du trone, en qui
revit la race,
Avant de revetir les royaux attributs,
Aille, une nuit, souper dans la tour de
Corbus;
C’est de ce noir souper qu’il