II
EVIRADNUS
Eviradnus,
Vieux, commence a sentir le poids des
ans chenus;
Mais c’est toujours celui qu’entre
tous on renomme,
Le preux que nul n’a vu de son sang
econome;
Chasseur du crime, il est nuit et jour
a l’affut;
De sa vie il n’a fait d’action
qui ne fut
Sainte, blanche et loyale, et la grande
pucelle,
L’epee, en sa main pure et sans
tache etincelle.
C’est le Samson chretien, qui, survenant
a point,
N’ayant pour enfoncer la porte que
son poing,
Entra, pour la sauver, dans Sickingen
en flamme;
Qui, s’indignant de voir honorer
un infame,
Fit, sous son dur talon, un tas d’arceaux
rompus
Du monument bati pour l’affreux
duc Lupus,
Arracha la statue, et porta la colonne
Du munster de Strasbourg au pont de Wasselonne,
Et la, fier, la jeta dans les etangs profonds;
On vante Eviradnus d’Altorf a Chaux-de-Fonds;
Quand il songe et s’accoude, on
dirait Charlemagne;
Rodant, tout herisse, du bois a la montagne,
Velu, fauve, il a l’air d’un
loup qui serait bon;
Il a sept pieds de haut comme Jean de
Bourbon;
Tout entier au devoir qu’en sa pensee
il couve,
Il ne se plaint de rien, mais seulement
il trouve
Que les hommes sont bas et que les lits
sont courts;
Il ecoute partout si l’on crie au
secours;
Quand les rois courbent trop le peuple,
il le redresse
Avec une intrepide et superbe tendresse;
Il defendit Alix comme Diegue Urraca;
Il est le fort, ami du faible; il attaqua
Dans leurs antres les rois du Rhin, et
dans leurs bauges
Les barons effrayants et difformes des
Vosges;
De tout peuple orphelin il se faisait
l’aieul;
Il mit en liberte les villes; il vint
seul
De Hugo Tete-d’Aigle affronter la
caverne;
Bon, terrible, il brisa le carcan de Saverne,
La ceinture de fer de Schelestadt l’anneau
De Colmar et la chaine au pied de Haguenau
Tel fut Eviradnus. Dans l’horrible
balance
Ou les princes jetaient le dol, la violence,
L’iniquite, l’horreur, le
mal, le sang, le feu,
Sa grande epee etait le contre-poids de
Dieu.
Il est toujours en marche, attendu qu’on
moleste
Bien des infortunes sous voute celeste,
Et qu’on voit dans la nuit bien
des mains supplier;
Sa lance n’aime pas moisir au ratelier;
Sa hache de bataille aisement se decroche;
Malheur a l’action mauvaise qui
s’approche
Trop pres d’Eviradnus, le champion
d’acier!
La mort tombe de lui comme l’eau
du glacier.
Il est heros; il a pour cousine la race
Des Amadis de France et des Pyrrhus de
Thrace.
Il rit des ans. Cet homme, a qui
le monde entier
N’eut pas fait dire Grace! et demander
quartier,
Ira-t-il pas crier au temps: Misericorde!
Il s’est, comme Baudoin, ceint les