Le lendemain Aymery prit la ville.
BIVAR
Bivar etait, au fond d’un bois sombre, un manoir
Carre, flanque de tours, fort vieux, et d’aspect noir.
La cour etait petite et la porte etait laide.
Quand le scheik Jabias, depuis roi de Tolede,
Vint visiter le Cid au retour de Cintra,
Dans l’etroit patio le prince maure entra;
Un homme, qui tenait a la main une etrille,
Pansait une jument attachee a la grille;
Cet homme, dont le scheik ne voyait que le dos,
Venait de deposer a terre des fardeaux,
Un sac d’avoine, une auge, un harnais, une selle;
La banniere arboree au donjon etait celle
De don Diegue, ce pere etant encor vivant;
L’homme, sans voir le scheik, frottant, brossant, lavant,
Travaillait, tete nue et bras nus, et sa veste
Etait d’un cuir farouche, et d’une mode agreste;
Le scheik, sans ebaucher meme un buenos dias,
Dit:—Manant, je viens voir le seigneur Ruy Diaz,
Le grand campeador des Castilles.—Et l’homme,
Se retournant, lui dit: C’est moi.
—Quoi!
vous qu’on nomme
Le heros, le vaillant, le seigneur des
pavois,
S’ecria Jabias, c’est vous
qu’ainsi je vois!
Quoi! c’est vous qui n’avez
qu’a vous mettre en campagne,
Et qu’a dire: Partons! pour
donner a l’Espagne,
D’Avis a Gibraltar, d’Algarve
a Cadafal,
O grand Cid, le frisson du clairon triomphal,
Et pour faire accourir au-dessus de vos
tentes,
Ailes au vent, l’essaim des victoires
chantantes!
Lorsque je vous ai vu, seigneur, moi prisonnier,
Vous vainqueur, au palais du roi, l’ete
dernier,
Vous aviez l’air royal du conquerant
de l’Ebre;
Vous teniez a la main la Tizona celebre;
Votre magnificence emplissait cette cour,
Comme il sied quand on est celui d’ou
vient le jour;
Cid, vous etiez vraiment un Bivar tres
superbe;
On eut dans un brasier cueilli des touffes
d’herbe,
Seigneur, plus aisement, certes, qu’on
n’eut trouve
Quelqu’un qui devant vous prit le
haut du pave;
Plus d’un richomme avait pour orgueil
d’etre membre
De votre servidumbre et de votre antichambre;
Le Cid dans sa grandeur allait, venait,
parlait,
La faisant boire a tous, comme aux enfants
le lait;
D’altiers ducs, tous enfles de faste
et de tempete,
Qui, depuis qu’ils avaient le chapeau
sur la tete,
D’aucun homme vivant ne s’etaient
soucies,
Se levaient, sans savoir pourquoi, quand
vous passiez;
Vous vous faisiez servir par tous les
gentilshommes;
Le Cid comme une altesse avait ses majordomes;
Lerme etait votre archer; Gusman, votre
frondeur;
Vos habits etaient faits avec de la splendeur;
Vous si bon, vous aviez la pompe de l’armure;
Votre miel semblait or comme l’orange
mure;
Sans cesse autour de vous vingt coureurs
etaient prets;
Nul n’etait au-dessus du Cid, et