Pour moi, j’assiegerai Narbonne a moi tout seul.
Je reste ici rempli de joie et d’esperance!
Et, quand vous serez tous dans notre douce France,
O vainqueurs des Saxons et des Aragonais!
Quand vous vous chaufferez les pieds a vos chenets,
Tournant le dos aux jours de guerres et d’alarmes,
Si l’on vous dit, songeant a tous vos grands faits d’armes
Qui remplirent longtemps la terre de terreur
—Mais ou donc avez-vous quitte votre empereur?
Vous repondrez, baissant les yeux vers la muraille:
—Nous nous sommes enfuis le jour d’une bataille,
Si vite et si tremblants et d’un pas si presse
Que nous ne savons plus ou nous l’avons laisse!—
Ainsi Charles de France appele Charlemagne,
Exarque de Ravenne, empereur d’Allemagne,
Parlait dans la montagne avec sa grande
voix;
Et les patres lointains, epars au fond
des bois,
Croyaient en l’entendant que c’etait
le tonnerre.
Les barons consternes fixaient leurs yeux
a terre.
Soudain, comme chacun demeurait interdit,
Un jeune homme bien fait sortit des rangs
et dit:
—Que monsieur saint Denis garde
le roi de France!
L’empereur fut surpris de ce ton
d’assurance.
Il regarda celui qui s’avancait,
et vit,
Comme le roi Sauel lorsque apparut David,
Une espece d’enfant au teint rose,
aux mains blanches,
Que d’abord les soudards dont l’estoc
bat les hanches
Prirent pour une fille habillee en garcon,
Doux, frele, confiant, serein, sans ecusson
Et sans panache, ayant, sous ses habits
de serge,
L’air grave d’un gendarme
et l’air froid d’une vierge.
—Toi, que veux-tu, dit Charle, et qu’est-ce qui t’emeut?
—Je viens vous demander ce
dont pas un ne veut,
L’honneur d’etre, o mon roi,
si Dieu ne m’abandonne,
L’homme dont on dira: C’est
lui qui prit Narbonne.
L’enfant parlait ainsi d’un
air de loyaute,
Regardant tout le monde avec simplicite.
Le Gantois, dont le front se relevait
tres vite,
Se mit a rire, et dit aux reitres de sa
suite:
-He! c’est Aymerillot, le petit
compagnon.
—Aymerillot, reprit le roi, dis-nous ton nom.
—Aymery. Je suis pauvre
autant qu’un pauvre moine.
J’ai vingt ans, je n’ai point
de paille et point d’avoine,
Je sais lire en latin, et je suis bachelier.
Voila tout, sire. Il plut au sort
de m’oublier
Lorsqu’il distribua les fiefs hereditaires.
Deux liards couvriraient fort bien toutes
mes terres,
Mais tout le grand ciel bleu n’emplirait
pas mon coeur.
J’entrerai dans Narbonne et je serai vainqueur.
Apres, je chatierai les railleurs, s’il en
reste.
Charles, plus rayonnant que l’archange
celeste,
S’ecria:
—Tu seras, pour ce propos hautain,
Aymery de Narbonne et comte palatin,
Et l’on te parlera d’une facon civile.
Va, fils!