—Vaillant
homme,
Vous etes dur et fort comme un Romain
de Rome;
Vous empoignez le pieu sans regarder aux
clous;
Gentilhomme de bien, cette ville est a
vous!—
Gerard de Roussillon regarda d’un air sombre
Son vieux gilet de fer rouille, le petit nombre
De ses soldats marchant tristement devant eux,
Sa banniere trouee et son cheval boiteux.
—Tu reves, dit le roi,
comme un clerc en Sorbonne.
Faut-il donc tant songer pour accepter Narbonne?
—Roi, dit Gerard, merci, j’ai des terres ailleurs.—
Voila comme parlaient tous ces fiers batailleurs
Pendant que les torrents mugissaient sous
les chenes.
L’empereur fit le tour de tous ses capitaines;
Il appela les plus hardis, les plus fougueux,
Eudes, roi de Bourgogne, Albert de Perigueux,
Samo, que la legende aujourd’hui divinise,
Garin, qui, se trouvant un beau jour a Venise,
Emporta sur son dos le lion de Saint-Marc,
Ernaut de Bauleande, Ogier de Danemark,
Roger, enfin, grande ame au peril toujours prete.
Ils refuserent tous.
Alors,
levant la tete,
Se dressant tout debout sur ses grands
etriers,
Tirant sa large epee aux eclairs meurtriers,
Avec un apre accent plein de sourdes huees,
Pale, effrayant, pareil a l’aigle
des nuees,
Terrassant du regard son camp epouvante,
L’invincible empereur s’ecria:
—Lachete!
O comtes palatins tombes dans ces vallees,
O geants qu’on voyait debout dans
les melees,
Devant qui Satan meme aurait crie merci,
Olivier et Roland, que n’etes-vous
ici!
Si vous etiez vivants, vous prendriez
Narbonne,
Paladins! vous, du moins, votre epee etait
bonne,
Votre coeur etait haut, vous ne marchandiez
pas!
Vous alliez en avant sans compter tous
vos pas!
O compagnons couches dans la tombe profonde,
Si vous etiez vivants, nous prendrions
le monde!
Grand Dieu! que voulez-vous que je fasse
a present?
Mes yeux cherchent en vain un brave au
coeur puissant
Et vont, tout effrayes de nos immenses
taches,
De ceux-la qui sont morts a ceux-ci qui
sont laches!
Je ne sais point comment on porte des
affronts
Je les jette a mes pieds, je n’en
veux pas! Barons,
Vous qui m’avez suivi jusqu’a
cette montagne,
Normands, Lorrains, marquis des marches
d’Allemagne,
Poitevins, Bourguignons, gens du pays
Pisan,
Bretons, Picards, Flamands, Francais,
allez-vous-en!
Guerriers, allez-vous-en d’aupres
de ma personne,
Des camps ou l’on entend mon noir
clairon qui sonne
Rentrez dans vos logis, allez-vous-en
chez vous,
Allez-vous-en d’ici, car je vous
chasse tous!
Je ne veux plus de vous! Retournez
chez vos femmes!
Allez vivre caches, prudents, contents,
infames!