Quatre jours sont passes, et l’ile
et le rivage
Tremblent sous ce fracas monstrueux et
sauvage.
Ils vont, viennent, jamais fuyant, jamais
lasses,
Froissent le glaive au glaive et sautent
les fosses,
Et passent, au milieu des ronces remuees,
Comme deux tourbillons et comme deux nuees.
O chocs affreux! terreur! tumulte etincelant!
Mais enfin Olivier saisit au corps Roland,
Qui de son propre sang en combattant s’abreuve,
Et jette d’un revers Durandal dans
le fleuve.
—C’est mon tour maintenant, et je vais envoyer
Chercher un autre estoc pour vous, dit Olivier.
Le sabre du geant Sinnagog est a Vienne.
C’est, apres Durandal, le seul qui vous convienne.
Mon pere le lui prit alors qu’il le defit.
Acceptez-le.
Roland
sourit.—Il me suffit
De ce baton.—Il dit, et deracine
un chene.
Sire Olivier arrache un orme dans la plaine
Et jette son epee, et Roland, plein d’ennui,
L’attaque. Il n’aimait pas qu’on vint faire apres lui
Les generosites qu’il avait deja faites.
Plus d’epee en leurs mains,
plus de casque a leurs tetes.
Ils luttent maintenant, sourds, effares, beants,
A grands coups de troncs d’arbre, ainsi que
des geants.
Pour la cinquieme fois, voici que
la nuit tombe.
Tout a coup Olivier, aigle aux yeux de colombe,
S’arrete et dit:
-Roland, nous n’en finirons point.
Tant qu’il nous restera quelque troncon au poing,
Nous lutterons ainsi que lions et pantheres.
Ne vaudrait-il pas mieux que nous devinssions freres?
Ecoute, j’ai ma soeur, la belle Aude au bras blanc,
Epouse-la.
-Pardieu! je veux bien,
dit Roland.
Et maintenant buvons, car l’affaire etait
chaude.—
C’est ainsi que Roland epousa la belle Aude.
AYMERILLOT
Charlemagne, empereur a la barbe fleurie,
Revient d’Espagne; il a le coeur triste, il s’ecrie:
—Roncevaux! Roncevaux! o traitre Ganelon!
Car son neveu Roland est mort dans ce vallon
Avec les douze pairs et toute son armee.
Le laboureur des monts qui vit sous la ramee
Est rentre chez lui, grave et calme, avec son chien;
Il a baise sa femme au front et dit: C’est bien.
Il a lave sa trompe et son arc aux fontaines;
Et les os des heros blanchissent dans les plaines.
Le bon roi Charle est plein de douleur et d’ennui;
Son cheval syrien est triste comme lui.
Il pleure; l’empereur pleure de la souffrance
D’avoir perdu ses preux, ses douze pairs de France,
Ses meilleurs chevaliers qui n’etaient jamais las,
Et son neveu Roland, et la bataille, helas!
Et surtout de songer, lui, vainqueur des Espagnes,
Qu’on fera des chansons dans toutes ces montagnes
Sur ses guerriers tombes devant des paysans,
Et qu’on en parlera plus de quatre cents ans!