Comme dormait Jacob, comme dormait Judith,
Booz, les yeux fermes, gisait sous la
feuillee;
Or, la porte du ciel s’etant entre-baillee
Au-dessus de sa tete, un songe en descendit.
Et ce songe etait tel, que Booz vit un
chene
Qui, sorti de son ventre, allait jusqu’au
ciel bleu;
Une race y montait comme une longue chaine;
Un roi chantait en bas, en haut mourait
un dieu.
Et Booz murmurait avec la voix de l’ame
’Comment se pourrait-il que de moi
ceci vint?
Le chiffre de mes ans a passe quatre vingt,
Et je n’ai pas de fils, et je n’ai
plus de femme.
’Voila longtemps que celle avec
qui j’ai dormi,
O Seigneur! a quitte ma couche pour la
votre;
Et nous sommes encor tout meles l’un
a l’autre,
Elle a demi vivante et moi mort a demi.
’Une race naitrait de moi!
Comment le croire?
Comment se pourrait-il que j’eusse
des enfants?
Quand on est jeune, on a des matins triomphants,
Le jour sort de la nuit comme d’une
victoire;
’Mais, vieux, on tremble ainsi qu’a
l’hiver le bouleau.
Je suis veuf, je suis seul, et sur moi
le soir tombe,
Et je courbe, o mon Dieu! mon ame vers
la tombe,
Comme un boeuf ayant soif penche son front
vers l’eau.’
Ainsi parlait Booz dans le reve et l’extase,
Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil
noyes;
Le cedre ne sent pas une rose a sa base,
Et lui ne sentait pas une femme a ses
pieds.
Pendant qu’il sommeillait, Ruth,
une moabite,
S’etait couchee aux pieds de Booz,
le sein nu,
Esperant on ne sait quel rayon inconnu,
Quand viendrait du reveil la lumiere subite.
Booz ne savait point qu’une femme
etait la,
Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait
d’elle,
Un frais parfum sortait des touffes d’asphodele;
Les souffles de la nuit flottaient sur
Galgala.
L’ombre etait nuptiale, auguste
et solennelle;
Les anges y volaient sans doute obscurement,
Car on voyait passer dans la nuit, par
moment,
Quelque chose de bleu qui paraissait une
aile.
La respiration de Booz qui dormait,
Se melait au bruit sourd des ruisseaux
sur la mousse.
On etait dans le mois ou la nature est
douce,
Les collines ayant des lis sur leur sommet.
Ruth songeait et Booz dormait; l’herbe
etait noire;
Les grelots des troupeaux palpitaient
vaguement;
Une immense bonte tombait du firmament;
C’etait l’heure tranquille
ou les lions vont boire.
Tout reposait dans Ur et dans Jerimadeth;
Les astres emaillaient le ciel profond
et sombre;
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs
de l’ombre
Brillait a l’occident, et Ruth se
demandait,
Immobile, ouvrant l’oeil a moitie
sous ses voiles,
Quel dieu, quel moissonneur de l’eternel
ete
Avait, en s’en allant, negligemment
jete
Cette faucille d’or dans le champ
des etoiles.