Reprit:—Tu m’as donne l’elephant et l’autruche,
Et l’or pour dorer tout; et ce qu’ont de plus beau
Le chameau, le cheval, le lion, le taureau,
Le tigre et l’antilope, et l’aigle et la couleuvre;
C’est mon tour de fournir la matiere a ton oeuvre;
Voici tout ce que j’ai. Je te le donne. Prends.—
Dieu, pour qui les mechants memes sont transparents,
Tendit sa grande main de lumiere baignee
Vers l’ombre, et le demon lui donna l’araignee.
Et Dieu prit l’araignee et la mit
au milieu
Du gouffre qui n’etait pas encor
le ciel bleu;
Et l’esprit regarda la bete; sa
prunelle,
Formidable, versait la lueur eternelle;
Le monstre, si petit qu’il semblait
un point noir,
Grossit alors, et fut soudain enorme a
voir;
Et Dieu le regardait de son regard tranquille;
Une aube etrange erra sur cette forme
vile;
L’affreux ventre devint un globe
lumineux;
Et les pattes, changeant en spheres d’or
leurs noeuds,
S’allongerent dans l’ombre
en grands rayons de flamme.
Iblis leva les yeux; et tout a coup l’infame,
Ebloui, se courba sous l’abime vermeil;
Car Dieu, de l’araignee, avait fait
le soleil.
BOOZ ENDORMI
Booz s’etait couche de fatigue accable;
Il avait tout le jour travaille dans son
aire,
Puis avait fait son lit a sa place ordinaire;
Booz dormait aupres des boisseaux pleins
de ble.
Ce vieillard possedait des champs de bles
et d’orge;
Il etait, quoique riche, a la justice
enclin;
Il n’avait pas de fange en l’eau
de son moulin,
Il n’avait pas d’enfer dans
le feu de sa forge.
Sa barbe etait d’argent comme un
ruisseau d’avril.
Sa gerbe n’etait point avare ni
haineuse;
Quand il voyait passer quelque pauvre
glaneuse:
—Laissez tomber expres des
epis, disait-il.
Cet homme marchait pur loin des sentiers
obliques,
Vetu de probite candide et de lin blanc;
Et, toujours du cote des pauvres ruisselant,
Ses sacs de grains semblaient des fontaines
publiques.
Booz etait bon maitre et fidele parent;
Il etait genereux, quoiqu’il fut
econome;
Les femmes regardaient Booz plus qu’un
jeune homme.
Car le jeune homme est beau, mais le vieillard
est grand.
Le vieillard, qui revient vers la source
premiere,
Entre aux jours eternels et sort des jours
changeants;
Et l’on voit de la flamme aux yeux
des jeunes gens,
Mais dans l’oeil du vieillard on
voit de la lumiere.
Donc, Booz dans la nuit dormait parmi
les siens;
Pres des meules, qu’on eut prises
pour des decombres,
Les moissonneurs couches faisaient des
groupes sombres;
Et ceci se passait dans des temps tres
anciens.
Les tribus d’Israel avaient pour
chef un juge;
La terre, ou l’homme errait sous
la tente, inquiet
Des empreintes de pieds de geant qu’il
voyait,
Etait encor mouillee et molle du deluge.