Ce clairon avait l’air de savoir le secret.
On sentait que le rale enorme de ce cuivre
Serait tel qu’il ferait bondir,
vibrer, revivre
L’ombre, le plomb, le marbre, et
qu’a ce fatal glas
Toutes les surdites voleraient en eclats;
Que l’oubli sombre avec sa perte
de memoire
Se leverait au son de la trompette noire;
Que dans cette clameur etrange, en meme
temps
Qu’on entendrait fremir tous les
cieux palpitants,
On entendrait crier toutes les consciences;
Que le sceptique au fond de ses insouciances,
Que le voluptueux, l’athee et le
douteur,
Et le maitre tombe de toute sa hauteur,
Sentiraient ce fracas traverser leurs
vertebres;
Que ce dechirement celeste des tenebres
Ferait dresser quiconque est soumis a
l’arret;
Que qui n’entendit pas le remords,
l’entendrait;
Et qu’il reveillerait, comme un
choc a la porte,
L’oreille la plus dure et l’ame
la plus morte,
Meme ceux qui, livres au rire, aux vains,
combats,
Aux vils plaisirs, n’ont point tenu
compte ici-bas
Des avertissements de l’ombre et
du mystere,
Meme ceux que n’a point reveilles
sur la terre
Le tonnerre, ce coup de cloche de la nuit!
Oh! dans l’esprit de l’homme
ou tout vacille et fuit,
Ou le verbe n’a pas un mot qui ne
begaie,
Ou l’aurore apparait, helas! comme
une plaie,
Dans cet esprit, tremblant des qu’il
ose augurer,
Oh! comment concevoir, comment se figurer
Cette vibration communiquee aux tombes,
Cette sommation aux blemes catacombes
Du ciel ouvrant sa porte et du gouffre
ayant faim,
Le prodigieux bruit de Dieu disant:
Enfin!
Oui, c’est vrai,—c’est
du moins jusque-la que l’oeil plonge,—
C’est l’avenir,—du
moins tel qu’on le voit en songe;—
Quand le monde atteindra son but, quand
les instants,
Les jours, les mois, les ans, auront rempli
le temps,
Quand tombera du ciel l’heure immense
et nocturne,
Cette goutte qui doit faire deborder l’urne,
Alors, dans le silence horrible, un rayon
blanc,
Long, pale, glissera, formidable et tremblant,
Sur ces haltes de nuit qu’on nomme
cimetieres;
Les tentes fremiront, quoiqu’elles
soient des pierres,
Dans tous ces sombres camps endormis;
et, sortant
Tout a coup de la brume ou l’univers
l’attend,
Ce clairon, au-dessus des etres et des
choses,
Au-dessus des forfaits et des apotheoses,
Des ombres et des os, des esprits et des
corps,
Sonnera la diane effrayante des morts.
O lever en sursaut des larves pele-mele!
Oh! la Nuit reveillant la Mort, sa soeur
jumelle!
Pensif, je regardais l’incorruptible airain.
Les volontes sans loi, les passions sans
frein,
Toutes les actions de tous les etres,
haines,
Amours, vertus, fureurs, hymnes, cris,
plaisirs, peines,
Avaient laisse, dans l’ombre ou
rien ne remuait,
Leur pale empreinte autour de ce bronze
muet;
Une obscure Babel y tordait sa spirale.