Les etres inconnus et bons, les providences
Presentes dans l’azur ou l’oeil
ne les voit pas,
Les anges qui de l’homme observent
tous les pas,
Leur tache sainte etant de diriger les
ames
Et d’attiser, avec toutes les belles
flammes,
La conscience au fond des cerveaux tenebreux,
Ces amis des vivants, toujours penches
sur eux,
Ont cesse de fremir et d’etre, en
la tourmente
Et dans les sombres nuits, la voix qui
se lamente.
Voici qu’on voit bleuir l’ideale
Sion.
Ils n’ont plus d’oeil fixe
sur l’apparition
Du vainqueur, du soldat, du fauve chasseur
d’hommes.
Les vagues flamboiements epars sur les
Sodomes,
Precurseurs du grand feu devorant, les
lueurs
Que jette le sourcil tragique des tueurs,
Les guerres, s’arrachant avec leur
griffe immonde
Les frontieres, haillon difforme du vieux
monde,
Les battements de coeur des meres aux
abois,
L’embuscade ou le vol guettant au
fond des bois,
Le cri de la chouette et de la sentinelle,
Les fleaux, ne sont plus leur alarme eternelle.
Le deuil n’est plus mele dans tout
ce qu’on entend;
Leur oreille n’est plus tendue a
chaque instant
Vers le gemissement indigne de la tombe;
La moisson rit aux champs ou ralait l’hecatombe;
L’azur ne les voit plus pleurer
les nouveau-nes,
Dans tous les innocents pressentir des
damnes,
Et la pitie n’est plus leur unique
attitude;
Ils re regardent plus la morne servitude
Tresser sa maille obscure a l’osier
des berceaux.
L’homme aux fers, penetre du frisson
des roseaux,
Est remplace par l’homme attendri,
fort et calme;
La fonction du sceptre est faite par la
palme;
Voici qu’enfin, o gloire! exauces
dans leur voeu,
Ces etres, dieux pour nous, creatures
pour Dieu,
Sont heureux, l’homme est bon, et
sont fiers, l’homme est juste.
Les esprits purs, essaim de l’empyree
auguste,
Devant ce globe obscur qui devient lumineux,
Ne sentent plus saigner l’amour
qu’ils ont en eux;
Une clarte parait dans leur beau regard
sombre;
Et l’archange commence a sourire
dans l’ombre.
Ou va-t-il, ce navire? Il va, de
jour vetu,
A l’avenir divin et pur, a la vertu,
A la science qu’on
voit luire,
A la mort des fleaux, a l’oubli
genereux,
A l’abondance, au calme, au rire,
a l’homme heureux;
Il va, ce glorieux
navire,
Au droit, a la raison, a la fraternite,
A la religieuse et sainte verite
Sans impostures
et sans voiles,
A l’amour, sur les coeurs serrant
son doux lien,
Au juste, au grand, au bon, au beau...—Vous
voyez bien
Qu’en effet
il monte aux etoiles!
Il porte l’homme a l’homme,
et l’esprit a l’esprit.
Il civilise, o gloire! Il ruine,
il fletrit
Tout l’affreux
passe qui s’effare;
Il abolit la loi de fer, la loi de sang,
Les glaives, les carcans, l’esclavage,
en passant
Dans les cieux
comme une fanfare.