Les choses allaient a ce point que Wilberforce refusa la pairie pour ne point retirer a ses fils le privilege de frequenter chez les gentlemen, les familles du commerce, etc. A l’ecole—et c’est lord Bathurst qui a raconte ceci a l’auteur—les fils de nobles etaient assis sur un banc a part, loin du contact avec les roturiers. Il fallait garder la tradition. C’est ce que faisait le marquis d’Abercorn, qui mourut en 1818. Il n’allait jamais a la chasse sans arborer sa decoration—son Blue Ribbon—et exigeait que pour faire son lit les femmes de chambre eussent les mains gantees, et de gants de peau, pas de fil.... Avant d’epouser sa cousine Hamilton, il la fit anoblir par le regent, pour ne pas se marier au-dessous de sa condition. Et quand il apprit qu’elle le voulait planter la pour suivre un amant, il la pria de prendre le carrosse de famille afin qu’il ne fut pas dit que Lady Abercorn avait quitte le domicile conjugal dans une voiture de louage. A ses yeux cette “voiture de louage” jetait evidemment un grand discredit sur les operations. On a de la race ou l’on n’en a pas.
Nous avons dit plus haut que M.G.W.E. Russell avait connu beaucoup d’hommes marquants de ce siecle, et avait eu avec eux des relations personnelles. Il en fut de toutes sortes; leurs opinions religieuses et politiques etaient souvent tres opposees, mais tous etaient au nombre des, notabilites du jour. Sur chacun d’eux, notre auteur donne son impression personnelle, et rappelle des souvenirs personnels ou des anecdotes interessantes. Nous ne pouvons les passer tous en revue: mais on en peut citer quelques-uns.
Sir Moses Montefiore ne fut pas le plus celebre: mais il avait une specialite. Ne en 1784, il mourut en 1885, ayant ete toute sa vie un objet d’horreur pour les teetotallers; car de quel oeil en verite pouvaient-ils considerer un homme qui buvait chaque jour une bouteille de porto, et a qui la Providence permettait de se bien porter? C’etait indecent...
Une physionomie plus curieuse etait celle de Lord Russell, plein d’anecdotes, spirituel, souvent froid en apparence, a l’occasion eloquent. A une dame qui demandait la permission de lui dedier un livre, il repliquait qu’a son grand regret il se voyait oblige de refuser: “parce que, comme chancelier de l’Universite d’Oxford, il avait ete tres expose aux auteurs.”
Pour un chef politique, il avait un grave defaut. Sa memoire des visages etait tres faible. Il se rencontra une fois en Ecosse chez un ami commun avec le jeune Lord D...., depuis comte de S.... Le jeune homme lui plut par sa personne et par ses opinions whig. Quand vint l’heure de la separation, Lord John dit a Lord D.... tout le plaisir qu’il avait eu a faire sa connaissance, et ajouta: “Maintenant il faut que vous veniez me donner votre appui a la Chambre des communes.” “Mais je ne fais pas autre chose depuis dix ans,” repondit le jeune politicien. Son chef ne l’avait pas reconnu. Avec cela des distractions qui auraient pu le faire croire denue d’education alors qu’il n’etait que denue d’artifice.