“La flute etant conduite par ceux qui etoient echapez du naufrage dans la chaloupe, et venus a Batavia en aporter la nouvelle, se rendit au parage ou le Dragon avoit peri, et alla mouiller l’ancre dans l’endroit qui parut le plus propre pour son dessein. Aussi tot la chaloupe fut armee pour aller chercher ceux qui s’etoient sauvez le long du rivage. Elle s’aprocha d’abord du bris, pardessus lequel les vagues passoient; puis elle nagea vers le lieu ou l’on avoit dresse des tentes, quand la chaloupe du vaisseau peri partit, pour ceux qu’elle n’avoit pu recevoir, et qui devoient attendre la qu’on vint les y prendre.
“L’equipage etant descendu a terre, trouva les tentes brisees en pieces, et l’on ne decouvrit pas un seul homme dans tout le pais. La surprise ne fut pas mediocre. On regarda partout si l’on ne verroit point de traces qui marquassent qu’on eut construit quelque petit batiment: mais il n’y avoit ni tarriere, ni hache, ni couteaux, ni cloux, etc. Il n’y avoit ni ecrit ni indication par ou l’on put conjecturer ce qu’etoient devenus les gens qu’on avoit la laissez.
“La chaloupe etant retournee a bord, et aiant annonce cette nouvelle, il fut resolu que l’on iroit chercher plus avant dans les terres, et le long du rivage. Pour cet efet on se divisa en plusieurs troupes, et l’on ne reussit pas mieux que la premiere fois. On eut beau crier, apeller, tirer des coups de mousquet, tout fut inutile, et je n’ai pas seu qu’on ait jamais apris ce qu’etoient devenus ces gens-la.
“On retourna donc au bris, dont on ne put rien tirer, les lames aiant emporte les bordages, les ecoutilles, et fracasse tout le vaisseau, tant la mer brise fort en ces parages. Ainsi l’on jugea que le plus expedient etoit de s’en retourner, puis-qu’on n’avoit rien a pretendre, et qu’on avoit a craindre les vents forcez et les tempetes, qui selon les aparences auroient aussi fait perir la flute. Dans ce dessein on alla faire de l’eau. Ceux qui furent a une petite riviere qu’on avoit vue, au-lieu de se hater, se promenerent, et coururent en divers endroits.
“Cependant il s’eleva une si terrible tempete, que la flute fut contrainte de se mettre au large, ou elle atendit encore quelque tems. Mais comme la chaloupe ne revenoit point, on jugea qu’elle avoit peri; si-bien qu’on reprit la route de Batavia, ou l’on fit le raport de ce qui s’etoit passe.
“Quand l’orage eut cesse, l’equipage de la chaloupe se rembarqua pour retourner a bord. ’Mais il ne trouva plus la flute, ni sur la cote, ni au large. La tristesse ne fut pas moindre que l’etonnement, et l’on ne seut quel parti prendre. Enfin il fallut retourner a terre, pour n’etre pas englouti par les flots. Mais on n’avoit point de vivres, et l’on ne voioit rien dans tout le pais qui put servir de nouriture. Les montagnes n’etoient que des rochers; les valees etoient de vrais deserts; les plaines n’etoient que des sables. Le rivage etoit aussi borde de roches, contre lesquelles la mer brisoit avec d’efroiables mugissemens.